Deux ans après l’échéance du programme présidentiel « Jardin scolaire : Un milliard d’arbres à l’horizon 2023 », les chiffres annoncés peinent à trouver racine sur le terrain. Enquête sur une promesse verte qui semble s'être évaporée dans la canopée administrative.
Lancé en grande pompe le 5 juin 2019 par le président Félix Tshisekedi, le programme « Un milliard d’arbres à l’horizon 2023 » promettait de reverdir la République démocratique du Congo, tout en sensibilisant les jeunes générations aux enjeux climatiques. L’idée :mobiliser les élèves à travers le projet « Jardin scolaire » et planter un milliard d’arbres en cinq ans.
En décembre 2024, le ministère de l’Environnement et du Développement durable (MEDD) publie un rapport triomphaliste Rapport MEDD projet jardin scolaire: 870 millions d’arbres auraient été plantés dans 11 provinces, soit un taux d’exécution de 87 %. Mais ces chiffres vertigineux, loin de convaincre une frange, soulèvent une avalanche de doutes. Où sont donc passés ces arbres ?Peut-on en attester la présence sur le terrain ?Rien n’est moins sûr.
Une forêt qui recule malgré les plantations
La RDC abrite environ 60 % des forêts du bassin du Congo, deuxième poumon vert de la planète après l’Amazonie. Pourtant, selon les récentes données de Global Forest Watch,rapport 2025 Global Forest Watch le pays a perdu plus d’un million d’hectares de forêts en 2023. Entre 2002 et 2024, 7,45 millions d’hectares de forêts primaires humides ont disparu, soit une baisse de 7,1 % de la surface forestière nationale.
Une contradiction flagrante : comment concilier une déforestation massive avec une reforestation prétendument historique ? Les arbres plantés n'ont-ils pas survécu ? Ont-ils seulement été plantés ? Le flou reste total. À ce jour, aucune preuve géolocalisée n’a été fournie pour vérifier ces plantations, et les rapports de suivi sont inaccessibles. Nos demandes d’accès à l’information adressées au MEDD et au FFN sont restées lettres mortes.
Imbroglio dans l’attribution et l’éxécution du projet
L’exécution du programme semble avoir été plombée dès le départ par des conflits de compétences. Selon les décisions du Conseil des ministres du 14 août 2020, le Fonds Forestier National (FFN) devait être l'organe d'implémentation du programme. Pourtant, le ministère de l’Environnement a conservé la mainmise sur le projet, en s’appuyant sur l’ancienne Direction de reboisement, mutée en établissement public pourtant officiellement dissoute.
Résultat : une dualité institutionnelle illégale et un pilotage opaque. « Il y a eu accaparement du programme par le ministère, alors que le FFN devait en être le bras opérationnel », confie un haut cadre sous anonymat. Sur les 698 millions de dollars prévus dans le budget prévisionnel, seuls 2,4 millions auraient été effectivement transférés au FFN. Une goutte d’eau dans une mer de soupçons. Un rapport sur cette gestion hasardeuse aurait même été transmis au Conseil national de sécurité.
Controverse des chiffres techniques réalisés et réalisables
Au-delà des montants, ce sont les chiffres de plantation eux-mêmes qui défient la logique forestière. Le rapport du MEDD évoque 870 millions d’arbres plantés sur 1 100 hectares, soit 791 000 arbres par hectare. Une densité tout simplement physiquement irréalisable, selon plusieurs experts consultés.
En reboisement standard, un hectare peut accueillir entre 140 et 150 arbres, en respectant les espacements recommandés de 5 mètres. Un calcul simple suffit à démonter les chiffres officiels :
- 1 100 hectares x 140 arbres = 154 000 arbres réalistes,
- Pour 870 millions d’arbres, il faudrait donc 6,2 millions d’hectares, soit 56 fois la superficie de Kinshasa.
La conclusion s’impose : soit les données sont erronées, soit les plantations n’ont pas été réalisées. Dans tous les cas, la traçabilité est inexistante, ce qui rend tout audit rigoureux impossible.
Une reforestation fantôme, un crédit carboneen péril
Ce manque de transparence n’est pas sans conséquence. La RDC ambitionne de valoriser son potentiel forestier sur le marché mondial du crédit carbone, en se positionnant comme « solution naturelle » au changement climatique. Mais comment espérer vendre du carbone si les forêts plantées n’existent pas ?
La crédibilité du système national de compensation carbone repose sur la vérifiabilité des efforts de reboisement. Or, le projet présidentiel – censé être la vitrine de cette politique – illustre plutôt un cas d'école d'opacité et de gestion approximative. Aucune localisation des sites, aucune donnée GPS permettant de constater l’avant et l'après reboisement, aucun audit indépendant. Deux ans après la fin du programme, le silence des autorités est assourdissant.
Quelles leçons, quelles responsabilités ?
Deux ans après l’échéance de 2023, le programme reste un mystère opaque. Où sont les arbres ? Où est passée l'enveloppe budgétaire ? Pourquoi les organes de mise en œuvre ont-ils été court-circuités ? Et surtout, qui devra rendre des comptes ?
Le projet « Jardin scolaire » devait être un chantier national éco-citoyen, impliquant 26 provinces sur 5 millions d’hectares, avec des retombées sociales, environnementales et économiques majeures. À ce jour, il semble surtout être un symbole de promesses non tenue et de dysfonctionnements institutionnels profonds.
Pendant que la planète cherche des solutions concrètes à la crise climatique, la RDC, riche de ses forêts, risque de se décrédibiliser sur la scène internationale, faute de rigueur de certains acteurs environnementaux dans la mise en œuvre de ses engagements. Pourtant, le chef de la République ne cesse de revenir sur l’implication des autorités nationales dans un esprit de loyauté, de patriotisme. A qui Félix Tshisekedi devrait-il faire confiance ? À défaut de forêt, il reste la parole. Encore faut-il qu'elle soit tenue.